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Tunisie : Le retour des « amis » de Ben Ali

Honnis au lendemain de la révolution tunisienne en 2011, d’ex-lieutenants de Ben Ali entendent profiter des législatives et de la présidentielle pour réintégrer la scène politique. Un « come-back » que certains voient comme un retour en arrière.

« Chassez le RCD, il revient au galop. » Depuis plusieurs mois, pas une semaine ne se passe sans que la presse tunisienne ne se fasse l’écho du retour dans l’arène politique d’un cacique du défunt Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), parti de l’ex-président Zine el-Abidine Ben Ali. Dernier « come-back » remarqué : celui de Mondher Zenaïdi, ancien ministre du Commerce, du Tourisme et de la Santé du régime déchu. Après un exil français de trois ans, ce « RCDiste », que l’on dit proche d’une partie de l’entourage de Ben Ali, est rentré à Tunis, dimanche 14 septembre, sous les vivats d’une centaine de partisans. Un accueil triomphal qui, dit-on, le conforterait dans ses ambitions présidentielles…

Mais Mondher Zenaïdi ne serait pas le seul revenant tenté par l’aventure. Honnis au lendemain de la chute de Ben Ali, d’anciens cadres du RCD, dissous dès mars 2011, ont profité du rejet, en avril, de la loi d’exclusion dont ils auraient fait les frais, pour sortir du bois. À quelques semaines des élections législatives d’octobre et présidentielle de novembre, plusieurs d’entre eux affichent leurs ambitions. Ou laissent à leur entourage le soin de préparer le terrain. Au parti Al-Moubadar (l’Initiative), les militants pressent son chef, Kamel Morjane, ex-ministre de la Défense (2005-2010) et des Affaires étrangères (2010-2011) de briguer lui aussi le Palais de Carthage. Pour l’épauler, l’ancien chef de la diplomatie tunisienne pourra compter sur une toute nouvelle recrue au sein de sa formation : Mohamed Ghariani, le dernier secrétaire général du RCD.

>> À lire sur France 24 : « Les nostalgiques du benalisme mais sans Ben Ali »

Mais trois ans et demi après la première révolution du printemps arabe, les Tunisiens sont-ils prêts à accorder de nouveau leur confiance à ceux dont ils ont entraîné la chute ? « L’élite intellectuelle de gauche, ce qu’on désigne habituellement par la société civile, s’oppose à un éventuel retour aux affaires des ex-RCDistes. Elle en serait forcément perdante, observe Kalthoum Saafi Hamda, journaliste tunisienne et professeur de sociologie politique à l’université Paris-Sorbonne. Mais l’homme de la rue, comme on l’appelle, n’y voit pas forcément d’inconvénients. La difficile situation économique et sociale ainsi que la peur du terrorisme favorisent la nostalgie du RCD. »

L’enjeu pour ces « ex » revient donc à faire valoir leur expérience d’anciens responsables politiques tout en se désolidarisant d’un parti dont le nom reste irrémédiablement attaché aux prévarications de l’ancien régime. À la bannière RCD, ils préféreront ainsi celle de « Destour » (« Constitution » en arabe), qui a l’avantage de renvoyer à l’héritage d’Habib Bourguiba, le père de la Tunisie indépendante, plutôt que de Ben Ali.

C’est d’ailleurs au sein d’un parti appelé Mouvement Destourien que Hamed Karoui, ancien Premier ministre de Ben Ali (1989-1999), est parvenu à rassembler un nombre important des ex-RCDistes. Pour la présidentielle, la formation a désigné comme candidat Abderrahim Zouari, un ancien secrétaire d’État présenté comme l’un des hommes-clés du système Ben Ali.

« OPA sur Nida Tounès »

Mais c’est dans les rangs du parti Nida Tounès (« Appel de la Tunisie ») de Béji Caïd Essebsi (BCE), ancien Premier ministre de transition (février-décembre 2011), que les parias d’hier semblent avoir trouvé un refuge à la hauteur de leurs ambitions. Devenu en peu de temps la deuxième force politique du pays, après le parti islamiste Ennahdha, Nida Tounès a su fédérer en son sein divers courants, dont une frange importante de la gauche tunisienne. Autrefois prompt à mettre en avant ses militants laïcs, syndicalistes et féministes, le parti est devenu, pour ses détracteurs, une « machine à recycler les RCDistes ». Tenants de la mouvance destourienne de la formation, ces derniers y occupent plusieurs bureaux locaux et régionaux avec l’aval de Hafedh Caïd Essebsi, le fils de BCE.

« On a l’impression qu’il y a une OPA qui se fait sur le parti, déplore un responsable historique de Nida Tounès sous couvert d’anonymat. On l’a vue au moment de la constitution des listes pour les législatives. Et cette opération de nettoyage ciblée continue puisque des membres dirigeants du parti sont régulièrement débarqués. Cela n’envoie pas de bons signaux pour la suite. »

De fait, pour l’aile gauche de Nida Tounès, les Destouriens et ex-RCDistes se serviraient du parti comme d’un cheval de Troie pour reconquérir le pouvoir. « Nous avons pris le risque d’intégrer des anciens du RCD car il fallait, au début, équilibrer le paysage politique », indique le responsable de Nida Tounès qui, malgré l’entrisme des ennemis d’hier, ne souhaite pas claquer la porte de son parti. « Nous souhaitons, en tant que force démocratique et républicaine, défendre un programme pluriel plutôt qu’un projet hégémonique, une pensée unique. »

Réfutant le terme de « recyclage », les intéressés défendent quant à eux le droit d’exercer leurs compétences dans un pays où, depuis la révolution, les principes démocratiques sont érigés en règle. Les courants destouriens ne sont d’ailleurs pas les seuls à avoir intégré d’anciens membres du parti de Ben Ali. Quelques-uns d’entre eux ont même rejoint les rangs d’Ennahdha. En 2013, Faouzi Elloumi, un ancien cadre de Nida Tounès, avançait le chiffre, invérifiable, de 100 000 ex-RCD passés chez les islamistes. « Faute de parti, la famille RCDiste est aujourd’hui éclatée. Certains gravitent autour de Nida Tounès, d’autres d’Ennahdha ou de projets destouriens. N’importe quel pouvoir qui va revenir aura de toute façon des RCDistes en son sein », affirme Kalthoum Saafi Hamda.

Ben Ali aux commandes ?

Pour les farouches opposants au défunt parti, ce serait Ben Ali, depuis son exil en Arabie saoudite, qui orchestrerait le retour de ses lieutenants. Déchu de ses droits civiques après ses nombreuses condamnations au lendemain de la révolution – notamment à la prison à vie pour son rôle dans la répression de janvier 2011 – l’ancien président tunisien est soupçonné de réactiver ses réseaux pour une éventuelle réapparition sur la scène politique. « Tout le monde sait que ses hommes des second, troisième ou dixième rangs ne sont pas partis avec lui. Avec les nouvelles technologies de communication, il peut facilement entrer en contact avec eux. On ne voit pas pourquoi il se gênerait », poursuit la journaliste et universitaire.

Les gardiens du temple révolutionnaire doivent-ils pour autant craindre un retour de l’ancien régime ? « Au sein de Nida Tounès, qui a des chances pour les élections à venir, il y a des forces de gauche, même minoritaires, qui seront les garants révolutionnaires, et feront en sorte qu’on ne revienne pas à un régime à la Ben Ali, assure Kalthoum Saafi Hamda. L’acquis de la révolution reste la liberté d’expression. Il existe maintenant tout un tas d’associations qui la défendent. Toutes ces nouvelles composantes font qu’on n’arrivera pas à un retour en arrière. »

« Ce qui s’est passé le 14 janvier 2011, certains le qualifient de révolte, d’autres de coup d’État ou, à l’inverse, de révolution, mais ce qui est sûr c’est que le paysage politique tunisien a subi une mutation de l’intérieur, abonde le responsable de Nida Tounès. Une cassure épistémologique s’est opérée dans la tête des gens que les politiciens de tous bords doivent prendre en compte. Il est temps que les anciens RCD passent à la mise à jour. »

 

SOURCE : FRANCE 24

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